Xavier Giannoli, un « homme libre » récompensé par le Prix Jeanson
9 mars 2016 par Sophie Deschamps - Divers
par Sophie Deschamps, présidente de la SACD
Le prix Jeanson est attribué à un auteur par des auteurs . Ce prix couronne un cinéaste qui a l’insolence, l’humour, la puissance dramatique, la liberté de pensée de l’auteur d’ « atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » Ce n’est pas rien.
Jeanson aimait le cinéma avec passion et intransigeance. Vous avez cela en commun. Vous m’avez dit : « Je ferais n’importe quoi pour l’amour du cinéma, j’ai dédié ma vie au cinéma. Je suis un homme libre, je ne fais partie d’aucun groupe, d’aucun mouvement, pas d’allégeance. La réussite d’un film, ce sont les concessions qu’on n’a pas faites. »
Jeanson de son côté a écrit : « Je souhaite que le cinéma continue, que l’état, cette lèpre, ce choléra ne le contamine pas. Je souhaite que le cinéma défende sa liberté jusqu’à la vie ! »
Vous avez eu une enfance protégée et heureuse entre un père journaliste et une mère qui avait des magasins de gadgets. Elevé dans la religion catholique, vous avez été enfant de chœur, mais déjà attentif aux détails, vous étiez fasciné par l’iconographie sacrificielle des églises et par la mise en scène chorégraphique de la liturgie.
C’est votre voisin du dessous, le chanteur Christophe qui vous a converti au cinéma. Il chantait les mots bleus, Aline, et avait surtout un projecteur 35 millimètres, une cinéphilie désordonnée, et était hermétique à toute forme d’autorité critique. « Quand je descendais chez lui, j’entrais dans un univers magique et transgressif, de juke-boxes et de pellicules, dans un décor de canapés noirs et de lampes. Je passais ma vie chez lui, je lui dois tout. Il m’a élevé à l’art, sans snobisme. »
Cette fréquentation a été encouragée par vos parents. D’autant que c’est grâce à votre père que vous avez eu la révélation du cinéma, à neuf ans, dans le cinéma du ferry qui vous emmenait en vacances en Corse comme chaque année. Vous avez vu Raging Bull de Martin Scorsese. Vous avez dit à Jean-Claude Raspiengeas dans le journal La Croix : « Ce film baigne dans une interrogation chrétienne et christique qui est justement mon élément. Tout converge pour que je le reçoive comme un uppercut, en plein cœur. Je me revois dans cette salle qui tangue avec l’illumination soudaine que là , devant moi, la vie est pleine. »
Paradoxalement, vous n’avez pas fait des études de cinéma, mais des études de lettres à la Sorbonne, tout en fréquentant assidument les cinémas d’art et essai du quartier. Pour vous cinéma et littérature, les plans et les mots sont intimement liés.
Vous avez la même passion que Houellebecq pour Huysmans, votre sujet de maitrise le prouve : « L’absence de symbole christique dans la trilogie de Huysmans ».
Puis, n’osant franchir le pas de la réalisation, vous avez commencé par être journaliste, ce qui vous a donné le goût de l’enquête. Pour écrire, vous allez d’abord et toujours au contact du réel. Vous menez l’enquête avant de fictionner la réalité.
Lors de votre stage au journal L’Express, deux personnes vous ont marqué : Jean-Pierre Dufreigne qui vous a dit « si vous devez écrire la critique d’un film, n’allez pas le voir, cela pourrait vous influencer ». Et Angelo Rinaldi, écrivain et critique littéraire, une sorte de maître qui vous donnait l’impression d’être Rubempré devant Vautrin.
Vous décidant enfin à suivre votre passion, vous avez été l’assistant de gens qui ne vous intéressaient pas, mais cela vous a permis de rencontrer les techniciens de votre premier court métrage. D’autres suivent jusqu’à L’Interview. L’Interview est une histoire autobiographique, une interview que vous deviez faire de de Niro, sur le tournage de Casino de Martin Scorsese, votre idole. Cela s’avéra un cauchemar. De Niro fût odieux, l’interview fut impossible. De cette expérience difficile, voire humiliante, vous avez fait un court métrage qui reçut la Palme d’or à Cannes. Palme d’or remise par qui ? Je vous le donne en mille, par Martin Scorsese lui-même. La vie a des rebondissements que le cinéma ne saurait inventer.
Si vous n’avez pas fait d’école de cinéma, c’est que le cinéma vous suffisait m’avez-vous dit. Jeanson dit la même chose du métier de scénariste : « Le métier n’est pas un don du ciel. Le métier de scénariste est un métier qu’on apprend. On l’apprend en exerçant. Le métier c’est ce qui ne se voit pas. Le métier sans talent est un jardin sans fleur, un couple sans amour. Le talent sans le métier, c’est Grock sans son partenaire, c’est la lanterne magique qu’on a oublié d’allumer. Le talent et le métier voilà ce qu’on appelle un couple assorti. Il n’y a que le dialogue qui soit un don. On a de la conversation ou on n’en a pas. »
Vous écrivez, ou co-écrivez avec notamment Marcia Romano, vous réalisez, et vous avez aussi créé une société de production. Cette société a produit vos films, mais aussi ceux de vos amis dont : Guillaume Galliene, Olivier Assayas, Valérie Donzelli pour La Guerre est déclarée, Benoit Jacquot, Jacques Fieschi.
Vous n’avez jamais fait de films de commande, tous vos films sont des œuvres personnelles.
Vous m’avez dit : « On dit qu’il faut faire des films quand on a des choses à dire, moi je fais des films quand j’ai quelque chose à taire. »
Pour votre premier film Les Corps impatients vous avez adapté une histoire vous permettant de taire la vôtre. Pour Quand j’étais chanteur, vous enquêtez en suivant des musiciens de bal en province, notamment Alain Chanone qui se présente comme mondialement connu à Clermont-Ferrand. Lors de ce tournage, Gérard Depardieu se révèle un soutien de tous les instants, vous disant : « Vas-y, fais ton truc. » Vous dites : « Depardieu m’oblige à sentir l’essentiel au lieu de le chercher ; Cécile de France illumine le tournage qui fut un moment de bonheur et de grâce. » Puis ce fût A l’origine, inspiré d’un fait divers réel. Tournage compliqué et film magnifique. Suit Superstar, satire sociale grinçante et enfin Marguerite, une merveille. L’amour que vous portez aux acteurs se voit à l’écran, ils vous le rendent bien, étant toujours au meilleur d’eux-mêmes. Le César attribué à Catherine Frot en est la démonstration.
Quand vous parlez de vos films, vous dites : « On commence par croire que Depardieu est ringard, que Cluzet est un salaud, que Marguerite est idiote et à l’arrivée, ils ont la grâce. Il faut trouver ce qui est beau dans n’importe quel personnage, finir par révéler l’extraordinaire brutalité du monde. Les personnages sont jetés dans le mensonge et la cupidité du monde mais eux, ont la grâce. »
Ce n’est pas un hasard si vous vous être senti Rubempré face à Vautrin. Votre grand projet est d’adapter Les Illusions perdues, écrit dites-vous, au début de la grande vague capitaliste qui ensevelit la beauté, la pensée, la sensibilité dans un torrent de boue médiatique et financier. Un film fleuve et qui vous ressemblera.
Vous parlez de la brutalité du monde, Jeanson aussi. Et il n’hésitait pas à l’écrire, dénonçant la guerre qui était pour lui une affaire criminelle. « On se doit d’être contre la guerre inconditionnellement, comme on se doit d’être contre la peine de mort. » Cela lui valut de faire de la prison. Il disait ce que vous auriez pu dire : « Je suis l’esclave de ma liberté. La liberté fait partie de mon bonheur. »
Vous auriez aussi pu écrire cette dernière citation : « Le cinéma français doit une partie de son rayonnement et de sa force à l’immigration. Au fond, voyez-vous, le cinéma est un pays où le talent sert de passeport. Son succès il ne le doit qu’à lui, rien qu’à lui. Lui ce sont les gens de cinéma. Il ne le doit à personne d’autre. Si le cinéma a quelques dettes, il n’a aucune dette de reconnaissance. Le cinéma français n’est pas un grand trust, c’est une petite compagnie de bonne compagnie. » C’est en excellente compagnie, Xavier Giannoli, que je vous remets au nom de tout le conseil d’administration le prix Henri Jeanson. Vous pouvez l’applaudir, mais avant, nous pourrions aussi lui chanter un joyeux anniversaire. Car c’est son anniversaire.
discours prononcé le 7 mars 2016 lors de la remise du Prix Henri Jeanson à Xavier Giannoli
Continuez votre lecture avec
- Article suivant : Hervé Hadmar-Marc Herpoux : histoire d’une « petite entreprise »
- Article précédent : Tuer la poule aux oeufs d’or avant qu’elle ne ponde