PADOX à Jérusalem – Festival Palestinien « Jérusalem dans tous ses états » [vidéo]
26 octobre 2009 par Dominique Houdart - Arts de la rue
Voir la vidéo : Les Padox en Palestine
Dimanche 27 septembre 2009
Jamais nous n’avions connu une fouille aussi intense à l’aéroport au départ vers Tel-Aviv. Un détecteur à explosif est passé dans tous les recoins de nos valises, et le fait que nous emportions avec nous 27 talkies-walkies pour les besoins du spectacle crée une certaine agitation. Mais finalement, cela passe.
C’est vraiment curieux que la police et la sécurité israéliennes puissent opérer sur le territoire français. La confiance règne !
À l’arrivée à Tel-Aviv, un membre du Centre Culturel Français de Jérusalem-Est nous accueille en nous disant « Vous tombez bien, il y a de la bagarre dans la vieille ville de Jérusalem, des extrémistes religieux juifs ont fait une incursion sur l’esplanade des mosquées, on ne sait pas comment cela peut tourner ». Effectivement il se confirme que ce genre de provocation est récurent à l’approche du Yom Kippour, mais en arrivant à Jérusalem, Olivia, l’organisatrice du Festival « Jérusalem dans tous ses Etats » nous confirme qu’il y a eu 17 blessés, que les affrontements continuent, qu’il vaut mieux ne pas s’aventurer dans le quartier Est, et que les activités sont suspendues.
Nous venons participer à ce Festival avec l’appui du Centre Culturel Français de Jérusalem Est et de Cultures France qui prennent en charge le voyage. Le Festival nous assure l’hébergement et la nourriture. Notre équipe, outre Jeanne et moi, est composée de deux de nos compagnons de route actuels, Félicien Graugnard et David Lippe, qui ont accepté des conditions difficiles à tous points de vue.
Demain, Jérusalem est une ville morte en raison du Yom Kippour, ce jour-là on peut faire du vélo sur l’autoroute entre Jérusalem et tel Aviv (expression consacrée entendue de toute part).
Olivia craint cependant que ces évènements tournent mal. Et comme souvent ici, l’humour ne perd pas ses droits : « On pensait que la 3e guerre mondiale arriverait avant la 3e Intifada, eh bien non !!! »
Demain premier rendez vous avec nos stagiaires.
Lundi 28 septembre 2009
Youm Kippour paralyse vraiment les activités, et nos stagiaires n’ont pas osé venir, craignant de ne pas pouvoir rentrer chez eux. Seuls trois jeunes Roms, qui habitent la vieille ville, étaient au rendez-vous. Nous aurons nos stagiaires demain, si tout va bien.
Car il y a depuis hier une tension à Jérusalem. C’est intéressant de lire la presse française qui annonce qu’un groupe de touriste qui voulait visiter l’esplanade des mosquées a été agressée par des palestiniens. Le Monde et le Figaro ont fait confiance à une dépêche de l’agence Reuter qui cache la vérité. L’agression vient en réalité d’extrémistes religieux juifs. La journée a été calme grâce a Yom Kippour, mais que se passera-il demain ?
Le festival palestinien auquel nous participons a commencé avec l’équipe d’Ici même de Grenoble, menée par Corinne Pontier. Ils proposent une déambulation, les yeux fermés, guidés par un membre de l’équipe. Ils ont comme partout recruté des guides sur place. Et ils investissent la rue Salah El Din, le cœur du quartier palestinien de Jérusalem. Ayant eu l’occasion de faire ce superbe parcours à Paris, nous avons voulu les suivre en spectateurs extérieurs. Les réactions des passants sont étonnantes, de l’inquiétude à l’admiration. Ils ont déambulé dans un parking au début du parcours, et les trois gardiens du parking, voyant que j’observais ce jeu, m’ont demandé la signification de cette proposition. Quand ils ont compris ce que je leur expliquais, découverte sensible de la ville par l’ouie, l’odorat, les sensations, l’un d’entre eux a eu cette belle réflexion : « C’est quand on ferme les yeux qu’on sent qu’on est aimé de Dieu. »
Mardi 29 septembre 2009
Une promenade sur les toits de la vieille ville, est un moment rare. Au-dessus des souks, on devine les marchands d’épices à l’odeur qui monte par les ouvertures de la galerie, et l’on y découvre un large panorama sur le Mont des oliviers, la Mosquée El Aksa, les nombreux clochers, les minarets, et une forêt de fils, d’antennes, de tôles, de jardins, de terrasses, d’abris de fortune.
Le stage Padox semble bien commencer, 24 stagiaires arrivent, mais un petit groupe de comédiens, déçu de voir qu’il y avait un certain nombre de jeunes en difficulté, accompagnés par un éducateur, décident que ce n’est pas pour eux, qu’ils ne veulent pas être mélangés, et partent. C’est bien décevant, de voir qu’au sein de cette communauté palestinienne, il y a de tels clivages. Il est vrai que ces jeunes n’ont aucun repère, aucune éducation culturelle, mais justement nous pouvons, nous et les autres stagiaires, les aider en ce sens. Hélas, au bout d’une demi-heure, l’éducateur nous lâche, cela rend le stage difficile à mener. Bref, aujourd’hui, la séance se termine avec 13 stagiaires, dont nos 3 jeunes Roms, charmants, mais timides au milieu des grands gaillards palestiniens, tous des garçons, alors que nous avons 2 filles Rom et un gamin de 11 ans (qui se révèle un bon partenaire).
Réflexion d’une des jeunes Roms, elle me demande si je suis Gypsy. Comme si on ne pouvait s’intéresser à elle que si on était Gypsy…
Nous apprendrons par la suite qu’un aveugle israélien avait demandé à faire la promenade avec «Ici Même », et que les guides palestiniens ont refusé de le conduire. Tout cela est dur à avaler. On nous explique que certains jeunes palestiniens ont participé à des stages mixtes, et que cela leur a valu des ennuis : prison, rejet par leur communauté. Cela nous éclaire sur la réserve des uns et des autres, cette méfiance viscérale d’une communauté pour l’autre. L’histoire ne va pas dans le bon sens, la solution de ce conflit qui se durcit tous les jours est absolument impossible à imaginer.
Mercredi 30 septembre 2009
Nous avons perdu quelques stagiaires, justement les jeunes en difficulté, leur éducateur ne les a pas accompagnés et n’a pas donné d’explication, pourtant l’un d’entre eux, rencontré dans la rue, nous a dit son intérêt pour le travail. Quel gâchis ! Le groupe se restreint, mais les volontaires qui restent sont motivés, et leur première expérience en plein air est prometteuse : leur plaisir vient des réactions du public, d’une chaleur exceptionnelle. Nous avons rarement eu un public aussi exubérant. Nous répétons dans la cour de l’YMCA, un attroupement s’est formé devant la grille, et les commentaires amusés fusaient.
Bien entendu, il est impossible d’avoir tout le monde tout le temps, certains travaillent, mais ils nous rejoignent rapidement dès qu’ils sont libres, et nous donnent leur vendredi et leur dimanche qui sont les jours de repos pour les musulmans.
Demain les volontaires qui servaient de guides dans la déambulation de « Ici même » nous rejoindront peut-être. Le groupe va s’étoffer.
En rentrant dans la vieille ville après la répétition, nous sommes tombés sur un événement impensable dans ce pays : une femme, âgée, nue, mais avec un voile sur la tête, courait dans le souk en hurlant. Tout autour les gamins riaient, l’un d’entre eux, voyant notre étonnement, a mis son doigt sur la tempe en disant « crazy ». Et pour une fois, pas de soldats armés ou de policiers à l’horizon. Et pourtant les rues des souks sont truffées de micros et de caméras.
Jeudi 1er octobre 2009
Le grand jour est arrivé, première sortie du groupe des Padox, et pour le baptême du feu, j’ai choisi de commencer par la porte de Damas, à l’entrée Est de la vieille ville, un des lieux de passages les plus fréquentés, une architecture superbe, avec ces murailles gigantesques maintes et maintes fois détruites, et finalement restaurées par Soliman au XVIè siècle, mais dont les fondations romaines sont encore visibles. Là tout un peuple de marchands, de touristes, de religieux de toutes sortes, de juifs orthodoxes, de palestiniens, se croisent et cohabitent. Mais c’est aussi là que lorsque nous étions présents pour un festival israélien au début de la première Intifada en 87, nous avons vu la police montée israélienne foncer sur les marchands et reverser leurs étals.
Les Padox arrivent, et descendent en ligne les marches de cette belle place en amphithéâtre (un lieu superbe pour un spectacle…). La foule étonnée se masse en bas. Au centre de la partie basse, en face de la belle porte aux énormes clous une marchande de raisin. Les Padox viennent tous s’asseoir au sol, en face d’elle, et immédiatement une foule bruyante se presse tout autour. Cette femme devient la reine de la place, l’objet de toutes les attentions. Puis nous nous entrons en contact avec le public, un bain de foule un peu étouffant, au point que nous remontons dans la circulation, traversée de rue, jeu avec les voitures, les passants, les marchands, avant de regagner le bus. À ce moment précis, arrive la police. Nos accompagnateurs expliquent qu’il s’agit d’un stage de théâtre organisé par le Centre Culturel Français de Jérusalem, il faut parlementer un certain temps, et enfin nous pouvons repartir.
La prochaine étape est justement le Centre Culturel Français de Jérusalem Est, rue Salah El Edin, lieu de repos dans le jardin- avant de repartir dans la rue, jouer avec les boutiques, les passants. Très vite tous les gamins du quartier déboulent, les familles, ils nous escortent jusqu’à un jardin ou, sous de beaux pins, les Padox ramassent des pommes de pin pour les offrir au public. Et enfin, ils vont faire la circulation sur un carrefour très proche, créant un encombrement déclanchant un concert de klaxon monstrueux, avant de rapatrier la salle de répétition.
Ce premier contact est plus qu’encourageant, le public est chaud, spontané, d’une grande gentillesse, sans agressivité, et avec notre équipe, en repensant la journée, nous nous disons que cela pourrait être le début d’un splendide travail de quartier. Imaginons la présence des Padox ici, pendant 15 jours, formation et jeu, et au bout de 15 jours, un grand spectacle populaire joué par 40 Padox là , par exemple dans cet amphithéâtre naturel de la Porte de Damas.
J’en veux pour preuve les rencontres que les uns et les autres avons faites, à la nuit tombante, en rentrant à l’hôtel : en passant porte de Damas, les commerçants nous ont reconnus, et interpellés, nous demandant si les grosses têtes allaient revenir, qui était dedans, ravis d’apprendre que c’étaient de jeunes palestiniens. Et bien sûr, nous sommes à Jérusalem, la religion ne perd pas ses droits, l’un d’entre eux nous dit « Ce sont des envoyés de Dieu ». Tiens, nous n’y avions pas pensé. Et si c’étaient plutôt des envoyés des hommes ?
Vendredi 2 octobre 2009
Vendredi, le jour très délicat à Jérusalem. C’est le jour où tous les palestiniens musulmans vont prier sur l’esplanade des mosquées, c’est le jour des incidents, des bagarres. Or nous avions prévu de jouer dans la vieille ville, sur les terrasses et autour d’un restaurant situé au cœur du marché Muristan, un des très beaux lieux de Jérusalem, a deux pas du Saint Sépulcre. Dès le matin, les hélicoptères tournent au-dessus de la vieille ville, qui est bouclée par la police et l’armée : seuls les Arabes de plus de 45 ans peuvent aller prier à la mosquée, les autres sont refoulés, y compris femmes et enfants. Nous devons donc annuler cette sortie, et trouver un autre lieu.
Et pourtant, la vue de cette terrasse est fantastique, au-dessus des toits de la ville, et vers 11h, soudain, tous les minarets se mettent à psalmodier, la ville n’est qu’un chant, une des mosquées émet un appel plus grave que tout ce que nous avions entendu, y compris au Yemen, toute la ville résonne au nom d’Allah.
En discutant avec notre accompagnatrice palestinienne, Ashira, une fille énergique, débrouillarde, rieuse, qui a su embobiner la police au moment de l’incident d’hier, nous décidons d’aller rendre visite avec les Padox à deux familles palestiniennes expropriées par de colons, et qui depuis des mois vivent dehors, dans un camping de fortune, devant leur maison.
Rencontre très émouvante, nous sommes reçus avec une joie immense. Tout cela se passe à Jérusalem Est, la ville palestinienne occupée depuis 67, ou la colonisation cherche à gagner du terrain.
La 2e rencontre est impressionnante. Les Padox s’installent sous la tente qui sert de logement à la famille expulsée, et toute la population avoisinante nous rend visite. En face, la maison occupée : le garde du corps prend des photos, appelle la police qui arrive au bout de 3 minutes et fait demi-tour, un jeune colon, craignant qu’on lui abîme sa voiture, démarre en trombe pour aller se garer plus loin. Toute la communauté accourt, les enfants s’accrochent aux Padox, et quand nous regagnons le bus qui nous a amenés, une foule nous accompagne et les colons respirent.
Dernière image insolite de la journée, à l’intérieur de la porte de Damas, on entend le dernier appel du Muezzin, et en même temps nous voyons une très grande quantité de juifs religieux, chapeaux noirs en fourrure, papillotes, vestes noires et bas noirs, qui se précipitent vers la Synagogue, comme s’ils répondaient à cet appel, car à la dernière prière musulmane correspond le début du Shabbat juif.
Samedi 3 octobre 2009
Le but des sorties des Padox pour la journée, c’est le mur, ce serpent hideux qui coupe les familles, les champs, le pays, les villes et les villages. Nous visons le mur qui est près de l’université palestinienne et qui oblige les étudiants qui habitent dans les quartiers très proches à faire 30 kilomètres pour y accéder.
Les Padox débarquent du bus, marchent vers le mur, l’examinent, le palpent, le mesurent, essaient de l’escalader, de le pousser, et finalement d’effondrent en pleurant à ses pieds. Les étudiants qui sortent de la faculté s’agglutinent, et les automobilistes, intrigués, passent, et repassent, heureux de voir cette scène, essayant de comprendre le message.
Après un temps de repos, c’est dans l’université que nous entrons, au milieu d’une foule de plus en plus dense d’étudiants :au début nous réussissons à faire un travail un peu organisé et esthétique, mais très vite nous sommes débordés par le nombre, l’enthousiasme, et surtout, hélas, le désir de se faire photographier avec les Padox.
Nos stagiaires commencent à bien se débrouiller, à prendre leur autonomie dans les moments qu’on leur laisse libres, établissent le contact.
Il paraît qu’à Jérusalem, la rumeur est bonne, on parle beaucoup de ces « aliens ». Je pense qu’il faudra lundi retourner à la porte de Damas. Mais demain, la mission est importante, le Check Point de Kalendia et le camp de réfugiés qui est à proximité. Nos stagiaires sont ravis. Et Yasser, le jeune Rom de 11 ans qui joue avec nous, déploie une énergie merveilleuse. Ses cousines, 13 et 14 ans, font aussi de gros progrès, commencent à vivre de façon autonome dans leur personnage.
L’aller et le retour en car est un moment joyeux, le chauffeur met une musique locale qui les entraîne à danser malgré la fatigue et la chaleur.
Dimanche 4 octobre 2009
Est-ce à cause de la pleine lune ? Ce dimanche est la journée de toutes les déceptions.
Déception, car dès le matin, la vieille ville est bouclée par la police et l’armée, les palestiniens ne peuvent pas entrer : c’est le lendemain de la fête juive des cabanes, Soukkoth (les familles construisent une cabane en souvenir de la traversée du désert), c’est un jour de fête, avec des palmes, et comme souvent un groupe de juifs orthodoxes est allé chanter et danser devant l’entrée de l’esplanade des mosquées. Les hélicoptères reprennent leur ronde dans le ciel, beaucoup de commerçants sont fermés, les bénévoles de Ici Même ne peuvent pas entrer dans la ville pour dire au revoir à l’équipe qui part. S’ajoute à cela une curieuse panne d’internet quoi empêche toute communication.
Autre déception, plus amère : nous devions retrouver nos Padox pour aller au Check Point de Kalendia, sur la route de Ramallah, et au camp de réfugiés qui est juste à côté. En arrivant à l’YMCA, notre lieu de répétition et de vestiaire, nous trouvons porte close, personne dans l’organisation n’avait songé que ce lieu était fermé le dimanche !Sans costumes, nous ne pouvons rien faire, nous sommes livrés à nous-même et nous embarquons l’équipe boire un pot dans un restaurant proche, pour faire passer la pilule.
Nous profitons de ce moment de liberté pour discuter avec ceux qui sont restés avec nous, particulièrement avec l’un d’entre eux qui étudie à l’Université, et est actuellement plongé dans le théâtre occidental du XVIIe siècle. Et là , déception ultime et violente, il nous montre son portable, sur lequel est gravé « Hitler », et nous dit en être « fan ». Nous sommes effondrés. Oui, bien sur, il faut comprendre que ce peuple est anéanti, bafoué, spolié, méprisé, et qu’il a besoin de trouver des voies de résistance.
Le nazisme qui fait aussi des adeptes dans la communauté juive d’origine russe, des jeunes qui n’ont pas connu la shoah et qui sont attirés par les méthodes radicales et inhumaines.
Quelle journée.
Promis, demain nous réaliserons le programme prévu aujourd’hui. La lune sera décroissante.
Lundi 5 octobre 2009
Nous sommes dans un pays où il est aventureux de faire des prévisions. Ou plus exactement, il faut s’adapter, et transformer l’événement en décision. Aujourd’hui, la fête juive continue, Soukkoth se prolonge, 2 jours chômés, 7 jours de fête,au point qu’à nouveau, la vieille ville est bouclée, l’esplanade des mosquées est interdite, des hordes de juifs religieux convergent, tandis que les Arabes sont bloqués aux portes. Et naturellement, cette situation engendre des affrontements.
Ainsi, après une visite au centre culturel Gypsy, nous partons vers le Check Point de Kalendia, et en route nous apprenons qu’il y a de la bagarre et des tirs de l’autre côté du check point, et aussi près des mosquées. Nous approchons du Check point, les voitures sont détournées, j’essaie se demander à un militaire si nous pouvons passer, il refuse de répondre. Certains de nos Padox n’ont pas leurs papiers d’identité (les mineurs ne peuvent passer qu’avec leurs parents), la rumeur des bagarres se confirme, donc demi-tour en route vers Jérusalem, rue Salah Ed Dhin, puisque la vieille ville nous est interdite, et que jouer devant le Check point serait dangereux : ce n’est pas la police, mais aujourd’hui l’armée qui garde le passage, et nos amis palestiniens précisent que les militaires ne discutent pas et tirent facilement..
La tension est extrême, et même si le public s’agglutine autour des Padox, nous sentons une grande nervosité. Les enfants braillent, les parents d’énervent, nous injurient, un père monte dans le bus, où un de nos stagiaires se reposait, s’empare de la tête de la marionnette et la roue de coups.
Les Padox vont à la poste, font la queue aux guichets, et là , incident : sans doute nous prend-on pour des Israéliens, un arabe fou furieux essaie d’arracher la tête d’un Padox, Jeanne s’interpose, il l’agresse violemment, nous devons battre en retraite. Il est certain que dans ce genre de situation et de tension, un service d’ordre serait utile, ainsi que des distributeurs de tracts pour expliciter notre présence et éviter les malentendus.
Mais le Festival a trop peu de moyens, a du mal a gérer l’ensemble et le Directeur, François Abou Salem, est totalement absent, en peine création de son Ubu pour le festival israélien de Acco (Saint Jean d’Acre).
Cette journée nous a permis de vivre le quotidien des palestiniens, en buttes à ces brimades perpétuelles qui font monter la tension et expliquent la violence de certains. La gentillesse des Padox, leur envie de fraternité et de tendresse, atteint ses limites. Nous avons du mal a exiger que nos stagiaires gardent la douceur du personnage.
mardi 6 octobre 2009
Cette tension va durer toute la semaine, puisque la fête religieuse a cette durée. Donc ce matin, ville bouclée, hélico, et coup de fil de la directrice du festival de Acco ou nous devons jouer a partir de demain : le chauffeur refuse de venir chercher nos colis dans Jérusalem Est ! La peur, la haine, la tension règnent des deux côtés. Le chauffeur craint de s’aventurer à l’Est, craignant les représailles, il faut donc trouver un transporteur local, palestinien, qui nous conduise avec nos 400 kgs à la porte de Jérusalem Est, dans le quartier Israélien.
Hier les religieux ont prié pour la pluie. Eh bien il pleut !
Finalement le chauffeur d’Acco arrive, avec un véhicule trop petit, qui nous oblige a vider les malles et à tout mettre en vrac. Et quand il s’agit d’aller vers la Vieille ville pour récupérer nos bagages, impossible, tout est fermé. Donc nous devons y aller à pied, au retour, le Directeur du centre Culturel français de l’Ouest, Olivier Debray, nous aide en transportant les bagages dans sa voiture jusqu’au barrage. Il nous a promis de parler de nos problèmes à son collègue du CCC de Jérusalem Est qui est le partenaire du festival.
Bref, 3 heures plus tard, nous pouvons partir, et l’arrivée à Acco se fait sous un orage et une pluie tellement forte que les rues sont réellement inondées. Le festival est désorganisé par la pluie, nous nous installons dans ce qui tient lieu de chambres, deux lits de camp et rien d’autre, un repas succinct pris en 10 minutes car la cantine ferme à 9h, ce n’est pas glorieux.
Mercredi 7 octobre 2009
Journée Marathon, nous avons quelques heures seulement pour former nos Padox, et nous sommes programmés à 18h30 … Eh oui, de nouveaux stagiaires, car ce festival israélien n’a pas voulu accueillir nos stagiaires palestiniens ! Avec des stagiaires habiles, cela serait une gageure, mais nos stagiaires, nous le découvrons très vite, sont des jeunes en difficulté, bruyants, agités, et dont la faculté de concentration est limitée. Les débuts sont délicats, mais la démonstration de David et Félicien, puis l’essai des costumes provoquent un intérêt qui étonne l’éducateur, et l’équipe, toujours assez remuante, fait très vite des progrès au point que nous pouvons faire une sortie d’essai à 17 h au soleil couchant sur la plage .Le caractère contemplatif et poétique des Padox opère, l’éducateur découvre les vertus de la marionnette habitable, et nous dit son enthousiasme pour cette expérience.
Ce festival d’Acco est une très grosse manifestation, difficile d’échapper au côté Disneyland au milieu d’une foule compacte, mais nos jeunes se comportent formidablement bien, perdent leur agressivité.
À suivre demain, avant le retour à Jérusalem et Ramallah.
Les nouvelles de Jérusalem sont très mauvaises, un dirigeant islamiste a été arrêté, l’ambiance est déplorable.
Jeudi 8 octobre 2009
Deuxième et dernière journée à Acco, cette ville historiquement intéressante, place forte des croisés au XIè et XIIè siècle, lieu d’une défaite de Bonaparte contre les Turcs. Les traces des différentes occupations sont belles, particulièrement dans la Citadelle aménagée en lieu de spectacle pour les spectacles en salle.
Nos stagiaires sont moins nombreux aujourd’hui, les pères ont interdit a 5 d’entre eux de revenir. Mais un travail de répétition avant de jouer avec l’équipe réduite permet d’améliorer la qualité. La foule est toujours aussi dense, les jeunes stagiaires jouent bien le jeu, les Padox emportent l’adhésion et l’affection du public. L’expérience se révèle vraiment bien venue, l’éducateur nous redit son plaisir, et pense que, pour le groupe, cette aventure sera le début de quelque chose. Il est très ému en nous quittant, et nous promet de nous écrire, lui et les jeunes, pour qu’on garde le contact.
Demain, retour à Jérusalem.
Vendredi 9 septembre 2009
Nous étions heureux de ce séjour au festival d’Acco, malgré un hébergement plus que limite et une cantine à l’avenant. Mais le comble fut la dernière nuit. Vers 1h du matin une sorte de garde-chiourme entrait dans nos chambres en nous disant « C’est terminé, vous n’avez plus rien à faire ici » Et a coupé l’électricité. Il a fallu parlementer, et ils ont commencé à démonter les installations électriques, pendant 2 ou 3 heures. Et quand j’ai signalé que nous voulions dormir, on nous a répondu « Nous, on travaille ». Nuit pénible, nulle, pas de petit déjeuner, départ en bus avec l’équipe française des « Souffleurs », qui, eux, étant autonomes, ont fait un admirable travail dans la vieille ville d’Acco, soufflant des poèmes en arabe.
La situation empire à Jérusalem où nous sommes revenus. Alerte maximum dans l’armée israélienne, tirs dans la vieille ville sur la Via Dolorosa. Pas de solution, Barack Obama renonce à œuvrer à une solution pacifique devant l’attitude des deux parties en présence, quand cela finira-t-il ? la crise est de plus en plus grave, nous la vivons de près, impuissants et désespérés. La grève générale a été décrétée pour cette journée de vendredi, et effectivement nous n’avions jamais vu les rues aussi vides, commerces fermés, passants rares à 5h du soir. Les militaires sont plus nombreux que d’habitude aux portes, on entend des bruits inquiétants de manifestation, de coups de feu ou bien de pétards pour un mariage, on ne sait plus très bien.
Patrick Girard, le Directeur du CCF de Jérusalem Est, voulait réunir les troupes présentes dans ses locaux. Mais il est obligé de respecter la grève, sous la menace, il organise donc un pot au Consulat, hors du quartier palestinien. Il garde un moral étonnant malgré la situation, déplore de ne pas pouvoir suivre le travail des Compagnies, très pris par ses occupations. Et puis Bernard Kouchner doit venir en Israël, l’Ambassade est mobilisée.
Nous passons un bon moment à envisager l’action de Ramallah pour demain, en nombre réduit de stagiaires, pour une parade menée par le Bread and Puppet. Nous irons assez tôt faire le repérage.
Les rares commerçants ouverts dans la vieille Ville en oublient de vendre leur marchandise, tellement émus par la situation qu’ils commentent largement.
Pour terminer la journée, je note cette belle réflexion d’un des deux frères qui tiennent le café Versave tout près de la porte de Jaffa et où avec Ici Même nous avons nos habitudes : « Ici, ce sont nos murs, nous les aimons et ils nous aiment »..En disant cela, il tenait le mur superbe du passage dans lequel son café est installé.
Samedi 10 octobre 2009
Avant d’aller à Ramallah, et de rentrer demain en France, un petit tour au Saint Sépulcre, loin des foules, dans le petit couvent copte sur les terrasses, ou quelques moines égrènent leurs prières en silence, un lieu de calme au milieu de la rumeur des touristes qui piaillent devant et dans l’église, et qui voient les lieux saints au travers de leur caméra.
Ramallah, la capitale de l’autorité palestinienne. Le festival, pour sa clôture, avait organisé une parade mise en forme par le Bread and Puppet (mais Peter Schumann n’était pas là , dommage, j’aurais aimé le revoir après tant d’années).Nous avions prévu de faire apparaître les Padox juste après la parade, pour ne pas mélanger les genres. Notre sortie a quasiment provoqué une émeute, un monde fou se pressait autour des Padox, qu’on a réussi à percher un moment sur les lions de la place. Ensuite, je souhaitais travailler au large, sur la place, mais la police est intervenue tout de suite, pour nous envoyer sur les trottoirs noirs de monde. Jamais nous n’avions connu un bain de foule aussi chaleureux, coloré, bruyant, sympathique mais empêchant tout travail collectif.
Ensuite nous retrouvons les acteurs de la parade, fraternisation avec les Padox.
Au moment où nous allions rentrer à Jérusalem, les Souffleurs sont arrivés et ont « soufflé » pour nous et les stagiaires du Bread and Puppet. Ils sont vêtus de noir, parapluie et éventail noir, munis d’un long tube noir également pour chuchoter à l’oreille des passants. Et tout d’un coup, miracle, la poésie, la douceur, le silence, l’intériorité se sont installés. Olivier Comte m’a soufflé dans l’oreille un superbe poème évoquant le voyage intérieur, et l’a terminé en arabe, j’ai senti une véritable transfusion poétique. Enfin, Olivier a soufflé un texte à une des nombreuses images de Mahmoud Darwich que Ernest Pignon a déposé sur les murs de Ramallah, et ensuite, il a écouté au bout de son long tuyau de souffleur les paroles du poète, mort il y a un peu plus d’un an.
Cette Compagnie des Soufleurs fait un travail extraordinaire de beauté, de sens profond, avec ses commandos poétiques qu’ils jouent dans les territoires palestiniens.
Le retour de Ramallah a été agité, pour y entrer, tout va toujours très bien, pour en sortir, il faut passer le Check Point, notre bus a été arrêté, garé sur le côté, tout le monde a dû descendre, examen des papiers par un militaire zélé entouré de policiers plus détendus, et dans le groupe, une jeune Rom de 14 ans, Leïla, qui ne pouvait pas avoir de papiers puisqu’elle est mineure. Ils l’ont emmenée au poste, interdiction de l’accompagner, elle est revenue 10 minutes plus tard, en larmes, mais ils nous ont laissés enfin partir.
Voilà les tracasseries coutumières qui contribuent à horripiler la population palestinienne. Le couvercle de la marmite ne va pas tarder à sauter. L’exaspération est à son comble.
Pour sortir, nous avons dû éviter le Check Point de Kalendia, des jeunes palestiniens lançaient des pierres, un peu plus loin des pneus brûlaient, et nous avons pu voir les restes de la bagarre de vendredi.
Ce soir Jérusalem a retrouvé son calme, mais les commerçants ont fermé de bonne heure. Le Son et Lumière dans la Tour de David tourne en boucle pour les touristes, les commerçants bradent les prix.
Et pendant ce temps le prix Nobel de la Paix est attribué à Barack Obama au moment où il annonce qu’il renonce à s’attaquer au problème israélo-palestinien.
Dominique Houdart
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