L’éducation à l’image… ou les vertus de l’interdit
29 octobre 2007 par Bertrand van Effenterre - Audiovisuel
C’était dans les années soixantes. J’étais en seconde au Lycée Henri IV.
Le mercredi on avait « plein air », ça voulait dire que, sous la surveillance de notre prof d’éducation physique, un jeune hollandais super sympa, toute la classe partait prendre la « ligne de sceaux » à Luxembourg pour passer l’après-midi, sur un stade de banlieue.
On sortait du lycée par la rue Clovis, on longeait le Panthéon, et, au moment où tous prenaient la rue Soufflot en direction du métro, je disparaissais avec un ou deux copains dans la rue Cujas pour rejoindre le Studio du même nom.
C’est là que j’ai eu mes premiers émois de cinéphile en découvrant Harriett Andersson dans « Monika » … J’ai bien du voir le film une dizaine de fois.. C’est là , et dans les salles toutes proches, que j’ai découvert Bergman, Renoir, Fellini et quelques autres. Pour moi alors, le cinéma, c’était l’interdit, c’était ce qu’on ne nous apprenait pas au lycée, c’était le contraire d’une matière à étudier… C’était ma forme de rébellion, mon espace de révolte, mon lieu du refus. Le cinéma était « mal vu, » alors justement j’y allais voir. Le cinéma, c’était pas sérieux, alors justement j’y découvrais toute la profondeur du monde. Le cinéma, c’était un divertissement, alors justement, j’y retrouvais le sens de la tragédie, le chemin de la comédie, la valeur du drame…
L’année d’avant, en troisième, déjà à Henri IV, j’avais eu un prof génial, l’un de ceux qui vous accompagnent tout au long de la vie. Jean-Louis Bory..
Avec lui, on apprenait que le théâtre, la peinture, la littérature, le cinéma, c’était le champ de la liberté humaine, et que la liberté, elle ne se donnait pas, il fallait la conquérir… Elle ne s’apprenait pas, il fallait la découvrir… Et la mériter… Leçons difficiles pour les gamins que nous étions encore, presque en culottes courtes… Mais belles et exigeantes…
Au moment où aujourd’hui tout le monde se gargarise en parlant « d’éducation à l’image », au moment où, à force d’être décortiqué dans les amphis et dans les classes, le cinéma devient de plus en plus une « matière morte » , j’ai une pensée pour Bory, lui qui a su nous transmettre son amour du cinéma sans lui enlever sa part d’interdit, sa force de mystère, son aura de révolte.
Bertrand van Effenterre
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