La HD va-t-elle condamner le patrimoine ?
23 avril 2007 par Luc Béraud - Audiovisuel
L’analogique se meurt, le numérique partout progresse. La TNT (Télévision Numérique Terrestre) est la télédiffusion moderne. En toute logique, elle s’accompagne de la HD (Haute Définition). Mais ce qui est bien sûr un progrès technique notable est-il une opportunité pour les Å“uvres ? Dans les domaines artistiques la nouveauté est-elle nécessairement un progrès ?
La Haute Définition est donc là . En France, d’ici 2012, toute la télévision diffusera en HD. Les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 sont une étape importante vers cette mutation technologique.
La HD a un coût qui, actuellement, est notablement supérieur à celui de la chaîne argentique et au Béta Numérique. Cependant ici un nombre grandissant de tournages se font déjà en Haute Définition. Et si ce n’est pas le cas, quelques uns de nos films sont maintenant finalisés en Haute Définition. Mais ce n’est pas systématique et certains diffuseurs n’ont pas pris conscience du retard qu’ils prennent au risque de, très rapidement, ne plus pouvoir diffuser les films qu’ils mettent en production actuellement.
Mais cette urgence se répète chaque fois qu’il y a une mutation technologique considérable. Au cinéma la couleur et le scope ont été des changements importants qui, au début, ont pu déplacer les goûts des spectateurs et fait évoluer la production des films. Mais passé l’attrait de la nouveauté et émoussée la rivalité avec la télévision, des films nouveaux et des productions importantes ont continué à se faire en format standard ou en noir et blanc.
Mais ce que nous allons vivre dans ces toutes prochaines années ressemble plus au tournant de 1929 avec l’arrivée du son. En effet le cinéma sonore a supplanté le cinéma muet et rendu caduques les films sans parole. A part quelques irréductibles (Chaplin et Keaton mais aussi d’autres qui ont longtemps utilisé le son avec méfiance et parcimonie) dès 1933 le son synchrone s’est installé partout et seuls les cinéphiles ont continué à fréquenter les trésors du cinéma muet.
A la différence de la télédiffusion numérique qui n’a pas (ou peu) changé la qualité de la réception, la télévision Haute Définition va rendre caduque les programmes traditionnels. C’est pourquoi nos films – ceux qui ne sont pas en HD – vont prendre un coup de vieux qui aura pour conséquence de voir les téléspectateurs s’en détourner. Ce qui veut dire baisse des ventes pour les producteurs mais aussi (et surtout) disparition des Å“uvres des écrans. Et quand le patrimoine disparaît c’est la culture qui meurt.
Soyons juste tout ne va pas mourir. Le cinéma et les films tournés en pellicule seront toujours susceptibles d’être transférés sur support Haute Définition dans de très bonnes conditions. Les performances photochimiques, la qualité des pellicules, la compétence des laboratoires et le talent des directeurs de la photographie ont rendu indétrônable la beauté du 35m/m. Mais tout ce qui a été tourné sur support magnétique aura un rendu insuffisant donc démodé. Et les téléfilms tournés en Super 16 mais transférés aussitôt en numériques et dont les négatifs, pour raisons d’économies, n’ont pas été montés – c’est à dire que les PAD (« Prêts À Diffuser ») sont en Beta Numérique – ne pourront être transférés en Haute Définition que dans une qualité qui ne satisfera pas ceux qui les ont fait et ne séduira pas les téléspectateurs habitués à la HD initiale. Pour garder une qualité équivalente il faudrait faire maintenant le montage des négatifs de tous ces films tournés entre 1994 et aujourd’hui. C’est à dire un investissement considérable. Qui le payerait ? Et ce pour des ventes trop modiques à des chaînes du câble qui s’adressent à des publics intéressés mais pas assez nombreux.
Il se pose donc un problème de mémoire et de patrimoine. Il y a beaucoup de programmes qui sont fait pour une diffusion éphémère mais les films (fictions et documentaires) ont par essence le destin des Å“uvres c’est à dire qu’après leurs premières diffusions, ils rejoignent des catalogues pour être remontrés car, précisément parce que ce sont des Å“uvres, leur valeur ne s’épuise pas à la première vision. Il faut donc trouver des solutions pour que nos films de télévision récents ne deviennent pas très rapidement des vieilleries indiffusables et sacrifier sur l’autel de la technique un patrimoine chèrement constitué.
Luc Béraud